Friday, October 30, 2009

Will Self...Will qui ???

Hola,
Je suis tombé par hasard sur cet article/interview des Inrocks que je trouve intéressant.
Cela me donne envie de lire des livres de ce Monsieur.

Bonne lecture,
Pollux

Will Self : "Ce qui m'intéresse c'est de m'opposer à l'idéologie dominante"


L’interdiction de fumer comme métaphore de l’hypocrisie de l’Occident : c’est le postulat du dernier livre de Will Self, accro à la satire et au roman absurde.“Ce qui m’intéresse, c’est de m’opposer à l’idéologie dominante.”

Le 30 octobre 2009 - par Nelly Kaprièlian

Will Self déteste les taxis. Il n’est pas rare qu’il fasse à pied le chemin entre l’aéroport de New York ou celui de Los Angeles et son hôtel lorsqu’il est en tournée aux Etats-Unis. Dans les bureaux de son éditeur parisien où il a donné rendez-vous, on commence à s’inquiéter : et s’il avait décidé de faire le trajet gare du Nord/VIe arrondissement en marchant? Il débarque trempé (il pleut), à peine en retard, en jean et veste de cuir noir, mal rasé, en déblatérant sur les sacs : l’homme aime voyager léger.



Il faut dire qu’en dix ans, l’écrivain londonien, 47 ans aujourd’hui, s’est délesté de quelques bagages encombrants : la drogue, l’alcool et presque la clope. Son addiction, il l’a reportée sur l’écriture qu’il pratique au rythme d’un Philip Roth, c’est-à-dire sans cesse. En France, on est déjà en retard de deux livres – son grand roman, The Book of Dave, une satire de la religion, et Liver, déclinaison de nouvelles autour du foie, ne sont pas encore traduits. Son nouveau roman à paraître ici, No Smoking est aussi satirique et absurde que ses précédents : ou comment un geste dérisoire déclenche une série d’événements atroces. Le roman s’ouvre quand Tom Brodzinski, touriste dans un étrange pays lointain, jette accidentellement son mégot sur le crâne de son voisin du dessous, un Occidental dont la compagne indigène traînera Tom en justice pour avoir porté atteinte à la vie de son homme. Tom plonge dans une série d’aventures sanglantes, hilarantes – il doit convoyer des offrandes au coeur d’une île mystérieuse et côtoyer un certain Erich von Sasser, pseudo-anthropologue responsable d’une gigantesque arnaque. Entre allégorie politique et enfer absurde, une plongée dans du pur Self.



ENTRETIEN >



Avez-vous écrit No Smoking comme une métaphore de la guerre en Irak ?



Will Self – Le livre se situe dans un pays qui ressemble à l’Australie. Je connais car j’y ai un peu vécu au début des années 80 et mon père s’y était installé. Là-bas, il est partout interdit de fumer. Il y a quelque chose d’ironique à penser qu’en soixante-dix ans, les Australiens sont passés du massacre des Aborigènes, en 1932, à l’interdiction de la cigarette. Pour moi, c’est en effet une métaphore de l’invasion en Irak : contraindre par la force des peuples à adopter la démocratie et le féminisme, voilà qui me semble l’un des plus grands paradoxes de l’Occident. Cette prétendue mission dont s’est investi l’Occident est étrange au vu de ses propres pratiques, une pure hypocrisie. Pour les Occidentaux, Noirs ou Arabes sont et seront toujours les “Autres”. Depuis le 11 Septembre, il y a eu des tonnes d’articles dans la presse : pourquoi les islamistes nous ont-ils attaqués, l’islam est-il une bonne ou une mauvaise chose… Mais l’idée commune à toutes ces questions reste que les musulmans apparaissent comme les “Autres” : différents, bizarres, étranges. C’est pourquoi, dans mon livre, on ne sait jamais vraiment comment sont les indigènes : ils ne représentent que la projection de ce que les Occidentaux pensent d’eux…



On peut aussi lire votre roman comme une critique d’une pratique rigide de l’islam.



La morale est toujours une construction sociale. C’est ce qu’exprime le personnage d’Erich von Sasser, qui incarne ma voix dans le roman. L’interdiction de fumer, dont je me sers ici, est une nouvelle métaphore de la morale quand elle se manifeste par des petites règles étriquées. Il faudrait interdire aux gens de fumer pour qu’ils vivent plus longtemps et soient de bonnes personnes. Quel est le sens de tout ça ? Depuis la crise financière, notre société n’a plus d’argent pour s’occuper des gens qui vivent jusqu’à 80 ans. Pourtant, on veut les faire arrêter de fumer pour qu’ils ne meurent pas trop vite. Seront-ils heureux si on leur fait gagner dix ans de vie dans ces conditions ? Nous vivons dans une société où il faut tout maximiser, même son temps de vie. Le tabac, pour moi, c’est la clé de ce problème. Ce qui ne veut pas dire que je trouve bien de mourir d’un cancer des poumons, mais la charge morale que l’on place dans le fait de fumer ou pas me dérange. C’est probablement aussi bizarre que de manifester la morale par le port d’une burka.



No Smoking serait-il un remake du roman de Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres ?



Pour les Anglais, c’est le livre colonial par excellence, l’histoire d’un homme qui se rend au Congo belge. Les Belges ont tué des millions d’Africains là-bas, et Conrad, qui avait voyagé au Congo, a fondé son récit sur le génocide. Aujourd’hui, on présente le livre comme une critique du colonialisme, mais Conrad est ambigu : il dit aussi, d’une certaine façon, que si les Blancs sont devenus féroces et sauvages, c’est au contact des Noirs… Je me suis inspiré de cette ambiguïté pour mon roman. Les gens qui pensent que la morale est universelle ont détruit d’autres civilisations. C’est ce qui se passe en Afghanistan. La façon dont on y traite les femmes m’est intolérable, mais je sais qu’on ne peut forcer les gens à se comporter différemment que selon les préceptes de leurs croyances.



Votre roman Dorian était un remake du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Dans No Smoking, en plus de Conrad, on devine aussi Kafka… Aimez-vous jouer avec d’autres livres en écrivant ?



Je n’ai pas relu ces auteurs depuis longtemps, je ne suis pas engagé dans un jeu intertextuel et je ne veux pas écrire un livre à propos d’autres livres, ce serait ennuyeux. No Smoking et Dorian sont deux romans situés dans un monde juste à côté du nôtre. Ils parlent d’un être qui a l’illusion d’être libre mais ne voit pas plus loin que ce qui se présente à lui, qui croit pouvoir inventer sa vie mais ne fait que réagir aux événements. Comme nous tous : nous pensons faire des choix, agir rationnellement, mais c’est faux. Tom, le héros de No Smoking, c’est nous mais aussi la personnification du comportement des nations. Les Grands Singes, Ainsi vivent les morts ou The Book of Dave, mes romans les plus ambitieux, restituent plutôt une situation sociale en Cinémascope.



Pourquoi affectionnezvous autant le genre de la satire ?



Ce qui m’intéresse, c’est de m’opposer à l’idéologie dominante, que ce soit le politiquement correct, l’exportation de la démocratie avec des armes ou la bonne santé pour tous, et de voir ce que ça donne.



Nous allons célébrer les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Diriez-vous que les pays islamiques ont remplacé la Russie comme grand ennemi de l’Occident ?



En effet, nos maux actuels ne proviennent pas tous du 11 Septembre. Les problèmes sont dans l’air depuis longtemps, ils nous tombent dessus à intervalles réguliers. L’Occident avait besoin de la Russie, beaucoup plus qu’on ne le croyait : la gauche pouvait s’accrocher à l’utopie du socialisme et dire que si les Russes se plantaient dans leur mise en oeuvre du communisme, eux y arriveraient avec le socialisme. Quand le Mur est tombé, ils ont eu l’occasion de faire ce qu’ils voulaient et ça n’a pas marché. Après 1989, la gauche est devenue caduque. Il semble qu’il ne reste que deux façons de penser quand on est de gauche : cesser de se croire de gauche ou être pour la guerre en Irak. Vous n’avez pas idée du nombre de gens de gauche, en Angleterre, qui étaient pour. Pour ma part, j’ai cessé de me penser comme un homme de gauche, si l’on prend la gauche comme une possibilité pour les sociétés d’aller collectivement vers davantage d’égalité et de justice sociale par la force de la volonté. Je ne crois plus non plus dans cette idée de progrès héritée des Lumières, qui allait avec le socialisme et le rendait différent du communisme ou du marxisme. Bien sûr, j’espère toujours qu’un jour le monde sera plus juste socialement, mais je sais aussi que nous sommes sept milliards d’hommes sur Terre et que les gens ont des façons de vivre différentes. Le problème de la gauche, c’est qu’ils pensent qu’ils doivent avoir raison, être bien, pour tout le monde : c’est comme ça que nous avons abouti au neocons, qui affirment que les musulmans ont tort et que l’Occident se trouve du bon côté.



Vous êtes clean depuis dix ans, vous fumez même de moins en moins. Pourtant, vous gardez l’image de l’écrivain qui prend de la drogue et écrit des livres déjantés. Vous n’en avez pas marre ?



Lors d’un débat ou d’une lecture, ça m’ennuie qu’on ne me présente que comme ça, c’est toujours une réduction de moi-même et de mon travail. Si j’étais un écrivain universitaire, qui enseigne le creative writing dans les facs, si j’avais rejoint la Royal Society of Literature, bref, si j’étais le genre d’écrivain qui dans dix ans recevra probablement les honneurs du gouvernement, ce serait juste un contrepoint. Mais je ne veux pas entrer dans l’establishment et devenir un écrivain de ce genre. Alors, dans le débat politique, le fait d’avoir été addict peut me faire du tort. Par exemple, je prône la légalisation de certaines drogues et tout le monde va penser que c’est pour mon propre usage. Or je ne me drogue plus depuis dix ans… Je reste seulement fidèle à une philosophie libertaire. Je suis tellement plus anti-conformiste que quand je prenais de l’héroïne ! Junkie, je faisais ce que tout le monde faisait : j’étais hypocrite, comme les autres. L’hypocrisie demeure un vice anglais !



La drogue vous a-t-elle aidé à créer votre univers littéraire singulier ?



Seulement en amplifiant ce que j’étais déjà. J’étais un enfant malheureux, obsessionnel, insomniaque, inhibé, qui avait un univers fantasmagorique très fort, et la drogue, dans un sens, l’a légitimé. Mon ami J.G. Ballard, qui est mort cette année, était exactement comme moi : il avait vécu très jeune dans un camp japonais et cela a exacerbé son imagination. Maintenant, si la question est de savoir si la drogue rend créatif, la réponse est non. Il faut être créatif dès le début, la drogue ne vous rendra pas meilleur. Il y a un autre problème aujourd’hui : le “créativement correct”. Tout le monde veut être créatif. Entre nous, j’envie ceux qui ne le sont pas. Ils sont capables de vivre une expérience pour ce qu’elle est, ils peuvent recevoir tout simplement la vie comme elle arrive. Chez ceux qui écrivent, l’écriture interférera toujours.

No Smoking (Editions de l’Olivier), traduit de l’anglais par Francis Kerline, 346 pages, 23 €

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